6 décembre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-17.921

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:SO02156

Texte de la décision

SOC.

CH9



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 décembre 2023




Cassation sans renvoi


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 2156 F-D

Pourvoi n° J 22-17.921




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 DÉCEMBRE 2023

La société HP France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 22-17.921 contre le jugement rendu le 8 juin 2022 par le président du tribunal judiciaire de Nanterre, dans le litige l'opposant au comité social et économique de la société HP France, dont le siège est [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bérard, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société HP France, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat du comité social et économique de la société HP France, après débats en l'audience publique du 8 novembre 2023 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bérard, conseiller rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (président du tribunal judiciaire de Nanterre, 8 juin 2022), statuant selon la procédure accélérée au fond, la société HP France (la société) a engagé lors d'une réunion des 22 et 23 septembre 2021, une procédure d'information et de consultation de son comité social et économique (le comité) sur les conséquences du changement de famille métier pour les métiers « pursuit manager » (ingénieur d'affaires) et « customer success manager » (responsable clients).

2. Lors d'une réunion du 28 octobre 2021, le comité a décidé de recourir à un expert au motif que ce projet implique une modification substantielle du contrat de travail de certains salariés. Lors d'une réunion extraordinaire le 15 novembre 2021, le comité a confirmé son recours à l'expertise aux termes d'une nouvelle délibération visant l'article L. 2315-94 du code du travail, au titre d'un projet important et a désigné le cabinet Technologia comme expert.

3. Contestant ces délibérations, la société a assigné, le 8 novembre 2021, le comité devant le président du tribunal judiciaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société fait grief au jugement de rejeter ses demandes d'annulation des délibérations adoptées par le comité les 28 octobre 2021 et 15 novembre 2021 décidant du recours à une mesure d'expertise prévue par l'article L. 2315-94 du code du travail et désignant comme expert le cabinet Technologia, alors « qu'à l'expiration des délais mentionnés par l'article R. 2312-6 du code du travail, le comité social et économique est réputé avoir rendu un avis négatif sur le projet qui lui est soumis ; que le délai imparti au comité social et économique pour rendre son avis court dès lors que l'employeur a fourni des informations mettant le comité en mesure d'apprécier l'importance de l'opération envisagée et de saisir le juge s'il estime que l'information communiquée était insuffisante ; qu'en l'espèce, l'employeur soutenait que le comité social et économique avait été informé le 23 septembre 2021 sur le projet de regrouper dans une seule famille de métiers Sales (vente) l'ensemble des fonctions concernées par le cycle de vente et qu'il était donc réputé avoir rendu un avis négatif le 23 octobre 2021, puis avait refusé de rendre un avis le 28 octobre 2021, ce qui rendait tardive la désignation de l'expert décidée le 28 octobre 2021 après que la direction ait pris acte du refus du comité social et économique ; que pour écarter ce moyen, le tribunal judiciaire a énoncé que la société ne pouvait, sans s'être préalablement assurée que le comité avait effectivement reçu une information le mettant en mesure d'apprécier l'importance du projet pour pouvoir rendre son avis, recueillir l'avis des élus ; qu'en statuant ainsi, le tribunal, qui a confondu la notion d'information permettant au comité social et économique de rendre son avis et celle d'information lui permettant d'apprécier l'importance du projet, a violé le texte susvisé, ensemble l'article L. 2312-15 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019 et l'article R. 2312-5 du même code, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2022-678 du 26 avril 2022. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 2312-15, L. 2312-16, R. 2312-5, en sa rédaction antérieure au décret n° 2022-678 du 26 avril 2022 et R. 2312-6 du code du travail :

5. Aux termes de l'article L. 2312-15 du code du travail, le comité social et économique émet des avis et des vœux dans l'exercice de ses attributions consultatives. Il dispose à cette fin d'un délai d'examen suffisant et d'informations précises et écrites transmises ou mises à disposition par l'employeur, et de la réponse motivée de l'employeur à ses propres observations. [...] Le comité peut, s'il estime ne pas disposer d'éléments suffisants, saisir le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, pour qu'il ordonne la communication par l'employeur des éléments manquants. Cette saisine n'a pas pour effet de prolonger le délai dont dispose le comité pour rendre son avis. Toutefois, en cas de difficultés particulières d'accès aux informations nécessaires à la formulation de l'avis motivé du comité, le juge peut décider la prolongation du délai prévu au deuxième alinéa. [...].

6. Aux termes de l'article L. 2312-16 du code du travail, sauf dispositions législatives spéciales, l'accord défini à l'article L. 2312-19 et à l'article L. 2312-55 ou, en l'absence de délégué syndical, un accord entre l'employeur et le comité social et économique ou, le cas échéant, le comité social et économique central, adopté à la majorité des membres titulaires de la délégation du personnel du comité, ou, à défaut d'accord, un décret en Conseil d'Etat fixe les délais dans lesquels les avis du comité social et économique ou, le cas échéant, du comité social et économique central sont rendus dans le cadre des consultations prévues au présent code. Ces délais permettent au comité social et économique ou, le cas échéant, au comité central d'exercer utilement sa compétence, en fonction de la nature et de l'importance des questions qui lui sont soumises. A l'expiration de ces délais
ou du délai mentionné au cinquième alinéa de l'article L. 2312-15, le comité ou, le cas échéant, le comité central, est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif.

7. Selon l'article R. 2312-5 du code du travail, en sa rédaction antérieure au décret n° 2022-678 du 26 avril 2022, le délai de consultation du comité social et économique court à compter de la communication par l'employeur des informations prévues par le code du travail pour la consultation ou de l'information par l'employeur de leur mise à disposition dans la base de données économiques et sociales dans les conditions prévues aux articles R. 2312-7 et suivants.

8. Aux termes de l'article R. 2312-6 du code du travail, pour les consultations mentionnées à l'article R. 2312-5, à défaut d'accord, le comité social et économique est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date prévue à cet article. En cas d'intervention d'un expert, le délai mentionné au premier alinéa est porté à deux mois.

9. Le délai de consultation fixé par l'article R. 2312-6 du code du travail court à compter de la date à laquelle le comité social et économique a reçu une information le mettant en mesure d'apprécier l'importance de l'opération envisagée et de saisir le président du tribunal s'il estime que l'information communiquée est insuffisante.

10. Pour débouter la société de ses demandes d'annulation des délibérations adoptées par le comité, le jugement retient que les délibérations décidant du recours à un expert ne sont pas tardives car il ne peut être considéré que l'absence d'avis lors de la réunion du 28 octobre 2021 vaut avis négatif implicite dès lors que la société ne pouvait recueillir l'avis des élus sans s'être préalablement assurée que le comité avait effectivement reçu une information le mettant en mesure d'apprécier l'importance du projet pour rendre son avis.

11. En statuant ainsi, alors qu'il a constaté que la société a engagé une procédure d'information et de consultation du comité sur son projet lors d'une réunion des 22 et 23 septembre 2021, que le projet de rattachement à la famille des métiers « sales » s'accompagnait d'un changement de rémunération avec un passage à un mode de rémunération composée d'une part fixe à 80 % et d'une part variable à 20 % et concernait vingt-trois salariés, que des réponses aux questions des élus ont été apportées le 18 octobre en vue de la réunion prévue le 21 octobre, que cette réunion a été suspendue et reprise le 28 octobre, que dans l'intervalle de nouvelles questions écrites ont été posées auxquelles la direction a répondu le 25 octobre, que lors de la réunion du 28 octobre un élu a pris la parole pour indiquer que le comité ne souhaitait pas rendre un avis mais lire une motion et que la direction a considéré que la consultation était achevée, éléments dont il aurait dû déduire qu'en raison des informations fournies mettant le comité en mesure d'apprécier l'importance du projet le délai préfix avait commencé à courir dès la première réunion d'information-consultation, de sorte qu'au 28 octobre 2021 le défaut d'avis du comité valait avis négatif, le président du tribunal judiciaire a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 8 juin 2022, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Nanterre ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Annule les délibérations du comité social et économique de la société HP France des 28 octobre 2021 et 15 novembre 2021 décidant du recours à une expertise sur le fondement de l'article L. 2315-94 du code du travail et désignant à cette fin le cabinet Technologia ;

Condamne le comité social et économique de la société HP France aux dépens, en ce compris ceux exposés devant le président du tribunal judiciaire ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées devant le président du tribunal judiciaire et la Cour de cassation ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six décembre deux mille vingt-trois.

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