Language of document : ECLI:EU:C:2022:948

ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

1er décembre 2022 (*) 

« Renvoi préjudiciel – Directive 2011/7/UE – Lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales – Article 2, point 1 – Notion de “transactions commerciales” – Indemnisation pour les frais de recouvrement exposés par le créancier en cas de retard de paiement du débiteur – Article 6 – Montant forfaitaire minimum de 40 euros – Retard de plusieurs paiements en rémunération de fournitures de marchandises ou de prestations de services effectuées en exécution d’un seul et même contrat »

Dans l’affaire C‑419/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Rejonowy dla m.st. Warszawy w Warszawie (tribunal d’arrondissement de la ville de Varsovie, Pologne), par décision du 21 juin 2021, parvenue à la Cour le 8 juillet 2021, dans la procédure

X sp. z o.o. sp.k.,

contre

Z,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Piçarra (rapporteur), faisant fonction de président de chambre, MM. N. Jääskinen et M. Gavalec, juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour Z, par Me A. Moroziewicz, adwokat,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mme M. Brauhoff et M. G. Gattinara, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, point 1, et de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales (JO 2011, L 48, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant X sp. z o.o. sp.k. à Z au sujet d’une demande d’indemnisation forfaitaire pour les frais de recouvrement exposés en conséquence de retards de paiement successifs dans le cadre d’un seul et même contrat.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les considérants 3, 17, 19 et 22 de la directive 2011/7 énoncent :

« (3)      Dans les transactions commerciales entre des opérateurs économiques ou entre des opérateurs économiques et des pouvoirs publics, de nombreux paiements sont effectués au‑delà des délais convenus dans le contrat ou fixés dans les conditions générales de vente. Bien que les marchandises aient été livrées ou les services fournis, bon nombre de factures y afférentes sont acquittées bien au‑delà des délais. Ces retards de paiement ont des effets négatifs sur les liquidités des entreprises et compliquent leur gestion financière. Ils sont également préjudiciables à leur compétitivité et à leur rentabilité dès lors que le créancier doit obtenir des financements externes en raison de ces retards de paiement. [...]

[...]

(17)      Le paiement d’un débiteur devrait être considéré comme en retard, aux fins de l’exigibilité d’intérêts pour retard de paiement, si le créancier ne dispose pas de la somme due à la date convenue, alors qu’il a rempli ses obligations contractuelles et légales.

[...]

(19)      Il est nécessaire de prévoir une indemnisation équitable des créanciers pour les frais de recouvrement exposés en cas de retard de paiement de manière à décourager lesdits retards de paiement. Les frais de recouvrement devraient également inclure la récupération des coûts administratifs et l’indemnisation pour les coûts internes encourus du fait de retards de paiement, pour lesquels la présente directive devrait fixer un montant forfaitaire minimal susceptible d’être cumulé aux intérêts pour retard de paiement. L’indemnisation par un montant forfaitaire devrait tendre à limiter les coûts administratifs et internes liés au recouvrement. [...]

[...]

(22)      La présente directive ne devrait pas empêcher les paiements par tranches ou échelonnés. Cependant, il convient que chaque tranche ou versement soit réglé selon les termes convenus et reste soumis aux dispositions de la présente directive concernant le retard de paiement. »

4        L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet et champ d’application », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      Le but de la présente directive est la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, afin d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, en améliorant ainsi la compétitivité des entreprises et en particulier des [petites et moyennes entreprises (PME)].

2.      La présente directive s’applique à tous les paiements effectués en rémunération de transactions commerciales. »

5        Aux termes de l’article 2 de ladite directive :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1)      “transactions commerciales”, toute transaction entre des entreprises ou entre des entreprises et les pouvoirs publics qui conduit à la fourniture de marchandises ou à la prestation de services contre rémunération ;

[...]

4)      “retard de paiement”, tout paiement non effectué dans le délai de paiement contractuel ou légal et lorsque les conditions spécifiées à l’article 3, paragraphe 1, ou à l’article 4, paragraphe 1, sont remplies ;

[...] »

6        L’article 4 de la même directive, intitulé « Transactions entre entreprises et pouvoirs publics », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les États membres veillent à ce que, dans des transactions commerciales où le débiteur est un pouvoir public, le créancier soit en droit d’obtenir, à l’expiration du délai fixé aux paragraphes 3, 4 et 6, les intérêts légaux pour retard de paiement, sans qu’un rappel soit nécessaire, quand les conditions suivantes sont remplies :

a)      le créancier a rempli ses obligations contractuelles et légales ; et

b)      le créancier n’a pas reçu le montant dû à l’échéance, sauf si le débiteur n’est pas responsable du retard. »

7        Aux termes de l’article 5 de la directive 2011/7, intitulé « Échéanciers » :

« La présente directive ne préjuge pas de la faculté, pour les parties, de convenir entre elles, sous réserve des dispositions pertinentes applicables du droit national, d’un échéancier fixant les montants à payer par tranches. En ce cas, si un paiement n’est pas réglé à l’échéance, les intérêts et l’indemnisation prévus par la présente directive sont calculés sur la base des seuls montants exigibles. »

8        L’article 6 de cette directive, intitulé « Indemnisation pour les frais de recouvrement », dispose :

« 1.      Les États membres veillent à ce que, lorsque des intérêts pour retard de paiement sont exigibles dans des transactions commerciales conformément à l’article 3 ou à l’article 4, le créancier soit en droit d’obtenir du débiteur, comme minimum, le paiement d’un montant forfaitaire de 40 [euros].

2.      Les États membres veillent à ce que le montant forfaitaire visé au paragraphe 1 soit exigible sans qu’un rappel soit nécessaire et vise à indemniser le créancier pour les frais de recouvrement qu’il a encourus.

3.      Le créancier est en droit de réclamer au débiteur, outre le montant forfaitaire visé au paragraphe 1, une indemnisation raisonnable pour tous les autres frais de recouvrement venant en sus dudit montant forfaitaire et encourus par suite d’un retard de paiement du débiteur. Ces frais peuvent comprendre, notamment, les dépenses engagées pour faire appel à un avocat ou à une société de recouvrement de créances. »

9        L’article 7 de ladite directive, intitulé « Clauses contractuelles et pratiques abusives », énonce, à son paragraphe 1 :

« Les États membres prévoient qu’une clause contractuelle ou une pratique relative à la date ou au délai de paiement, au taux d’intérêt pour retard de paiement ou à l’indemnisation pour les frais de recouvrement, ne soit pas applicable, ou donne lieu à une action en réparation du dommage lorsqu’elle constitue un abus manifeste à l’égard du créancier.

Pour déterminer si une clause contractuelle ou une pratique constitue un abus manifeste à l’égard du créancier, au sens du premier alinéa, tous les éléments de l’espèce sont pris en considération, y compris :

[...]

c)      si le débiteur a une quelconque raison objective de déroger [...] au montant forfaitaire visé à l’article 6, paragraphe 1. »

 Le droit polonais

10      L’article 4, point 1, de l’ustawa o przeciwdziałaniu nadmiernym opóźnieniom w transakcjach handlowych (loi visant à lutter contre les retards excessifs dans les transactions commerciales), du 8 mars 2013, dans sa version consolidée (Dz. U. de 2021, position 424, ci‑après la « loi du 8 mars 2013 »), définit la notion de « transaction commerciale » comme « un contrat portant sur la fourniture de marchandises ou sur la prestation de services à titre onéreux, si les parties visées à l’article 2 [de cette loi] concluent ledit contrat en lien avec l’activité exercée ».

11      L’article 8, paragraphe 1, de ladite loi est ainsi libellé :

« Dans les transactions commerciales dans le cadre desquelles le débiteur est une entité publique, le créancier est en droit d’obtenir, sans mise en demeure, les intérêts légaux afférents au retard dans les transactions commerciales pour la période qui s’étend du jour de l’exigibilité de la prestation en espèces jusqu’au jour du paiement, si les conditions suivantes sont cumulativement remplies :

1)      le créancier a exécuté sa prestation ;

2)      le créancier n’a pas obtenu le paiement dans le délai fixé dans le contrat. »

12      L’article 10, paragraphes 1 à 3, de la même loi dispose :

« 1.      À dater du jour où il acquiert le droit aux intérêts visés à l’article 7, paragraphe 1, ou à l’article 8, paragraphe 1, le créancier est en droit d’obtenir du débiteur, sans mise en demeure, une indemnisation pour les frais de recouvrement, constituant l’équivalent d’un montant de :

1)      40 euros, lorsque le montant de la prestation en espèces est inférieur à 5 000 zlotys polonais (PLN) [(environ 1 070 euros)] ;

2)      70 euros, lorsque le montant de la prestation en espèces est supérieur à 5 000 PLN, mais inférieur à 50 000 PLN [(environ 10 700 euros)] ;

3)      100 euros, lorsque le montant de la prestation en espèces est supérieur ou égal à 50 000 PLN.

[...]

2.      Outre le montant visé au paragraphe 1, le créancier a également droit au remboursement, dans une limite raisonnable, des frais de recouvrement exposés qui dépassent ce montant.

3.      Le droit au montant visé au paragraphe 1 est dû au titre de chaque transaction commerciale, sous réserve de l’article 11, paragraphe 2, point 2. »

13      Aux termes de l’article 11 de la loi du 8 mars 2013 :

« 1.      Les parties à une transaction commerciale peuvent établir dans leur contrat un échéancier d’exécution de la prestation en espèces par tranches, à condition que l’établissement d’un tel échéancier ne soit pas manifestement abusif à l’égard du créancier.

2.      Si les parties à une transaction commerciale ont établi dans leur contrat que la prestation en espèces sera exécutée par tranches, le droit :

1)      aux intérêts visés à l’article 7, paragraphe 1, ou à l’article 8, paragraphe 1,

2)      au montant visé à l’article 10, paragraphe 1, et à la restitution des frais de recouvrement exposés, visés à l’article 10, paragraphe 2,

est dû par rapport à chaque tranche impayée. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

14      X, société de droit polonais, a conclu avec Z, un hôpital public, un contrat en vertu duquel elle devait fournir successivement à ce dernier, selon un calendrier prédéterminé, du matériel médical. Chaque fourniture devait être payée dans un délai de 60 jours.

15      Z ne s’étant pas acquitté à l’échéance des paiements dus en rémunération de douze fournitures successives de marchandises, X a saisi le Sąd Rejonowy dla m.st. Warszawy w Warszawie (tribunal d’arrondissement de la ville de Varsovie, Pologne), la juridiction de renvoi, d’un recours tendant à ce que Z soit condamné, au titre de la loi du 8 mars 2013, à lui verser une indemnisation forfaitaire pour les frais de recouvrement d’un montant correspondant à douze fois le montant forfaitaire minimal de 40 euros, soit 480 euros.

16      La juridiction de renvoi indique qu’elle est appelée à déterminer si, dans le cadre d’un seul et même contrat, chaque retard de paiement du débiteur ouvre droit au versement d’un montant forfaitaire minimum de 40 euros pour frais de recouvrement, ou si ce montant est dû une seule fois, indépendamment du nombre de paiements en retard. Elle considère que l’application de la loi du 8 mars 2013 à l’affaire au principal conduit à retenir la seconde solution, puisque l’article 10, paragraphe 3, de cette loi prévoit que le montant forfaitaire est dû au titre de chaque « transaction commerciale ».

17      Toutefois, cette juridiction relève que l’article 4, point 1, de ladite loi définit expressément la notion de « transaction commerciale » comme un « contrat », à la différence de l’article 2, point 1, de la directive 2011/7, de telle sorte que la solution du litige au principal suppose, au préalable, d’interpréter cette dernière disposition ainsi que l’article 6, paragraphe 1, de cette directive.

18      C’est dans ces conditions que le Sąd Rejonowy dla m.st. Warszawy w Warszawie (tribunal d’arrondissement de la ville de Varsovie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 6, paragraphe 1, de la [directive 2011/7] doit‑il être interprété en ce sens que, lorsque les parties ont prévu, dans un contrat, une série de fournitures de marchandises et le paiement de chaque fourniture dans un certain délai après qu’elle a été effectuée, un montant forfaitaire minimal de 40 euros est dû pour chaque retard affectant le paiement des différentes opérations de fourniture, ou bien le droit de l’Union exige-t-il uniquement de garantir au créancier le paiement d’un montant forfaitaire de 40 euros pour l’ensemble d’une transaction commerciale comportant une série de fournitures, indépendamment du nombre de retards affectant le paiement des différentes opérations de fourniture ?

2)      Au sens de l’article 2, point 1, de la [directive 2011/7], un contrat ayant pour objet la fourniture de marchandises, qui oblige le fournisseur à fournir au pouvoir adjudicateur, pour le prix convenu dans ce contrat, une certaine quantité de marchandises, tout en réservant au pouvoir adjudicateur le droit de décider unilatéralement du calendrier et du volume des différentes opérations de fourniture constituant l’exécution de l’objet du contrat, y compris la faculté de renoncer à une partie des marchandises convenues sans en subir de conséquences négatives, et qui prévoit que le pouvoir adjudicateur est tenu de payer chaque fourniture partielle dans un certain délai calculé à compter de la date de réception des marchandises faisant l’objet de cette fourniture partielle, constitue-t-il une transaction commerciale, ou bien chacune de ces fournitures partielles, répondant aux besoins communiqués par le pouvoir adjudicateur, constitue-t-elle une transaction commerciale distincte au sens de cette directive, même si elle ne constitue pas un contrat distinct au sens du droit national ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la seconde question

19      Par sa seconde question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, point 1, de la directive 2011/7 doit être interprété en ce sens que la notion de « transactions commerciales » qui y figure couvre chacune des fournitures de marchandises effectuées en exécution d’un seul et même contrat ou si elle couvre uniquement le contrat en exécution duquel ces marchandises doivent être successivement fournies.

20      À cet égard, il importe de rappeler, d’une part, que la directive 2011/7 s’applique, aux termes de son article 1er, paragraphe 2, à tous les paiements effectués en rémunération de « transactions commerciales » et, d’autre part, que cette notion est définie, de façon large, à l’article 2, point 1, de cette directive comme « toute transaction entre des entreprises ou entre des entreprises et les pouvoirs publics qui conduit à la fourniture de marchandises ou à la prestation de services contre rémunération » (arrêt du 20 octobre 2022, BFF Finance Iberia, C‑585/20, EU:C:2022:806, point 21).

21      Dès lors que l’article 2, point 1, de la directive 2011/7 ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer le sens et la portée de la notion de « transactions commerciales », celle-ci exige une interprétation autonome et uniforme, qui tienne compte à la fois des termes et du contexte de la disposition où figure cette notion ainsi que des finalités de cette disposition et de l’acte du droit de l’Union dont elle fait partie [voir, en ce sens, arrêts du 9 juillet 2020, RL (Directive lutte contre le retard de paiement), C‑199/19, EU:C:2020:548, point 27, et du 18 novembre 2020, Techbau, C‑299/19, EU:C:2020:937, point 38].

22      S’agissant du libellé de l’article 2, point 1, de la directive 2011/7, l’utilisation des termes « toute transaction » met en évidence que la notion de « transactions commerciales », ainsi qu’il a été rappelé au point 20 du présent arrêt, doit être entendue de façon large et, par suite, qu’elle ne coïncide pas nécessairement avec la notion de « contrat ».

23      Deux conditions sont fixées à cette disposition pour qu’une transaction puisse être qualifiée de « transaction commerciale ». Elle doit, d’une part, être effectuée soit entre des entreprises, soit entre des entreprises et les pouvoirs publics. D’autre part, elle doit conduire à la fourniture de marchandises ou à la prestation de services contre rémunération (voir, en ce sens, arrêt du 20 octobre 2022, BFF Finance Iberia, C‑585/20, EU:C:2022:806, point 22 et jurisprudence citée).

24      Partant, lorsque les parties ont convenu, dans le cadre d’un même contrat, des fournitures de marchandises ou des prestations de services successives, chacune faisant naître une obligation de paiement à la charge du débiteur, les deux conditions prévues à l’article 2, point 1, de cette directive sont réunies pour que chaque fourniture ou prestation effectuée en exécution de ce contrat soit qualifiée de transaction commerciale, au sens de cette disposition.

25      L’économie de la directive 2011/7 confirme que le législateur de l’Union n’a pas entendu faire coïncider la notion de « transaction commerciale » avec celle de « contrat ». En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point ‎20 du présent arrêt, l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive dispose que celle-ci « s’applique à tous les paiements effectués en rémunération de transactions commerciales », que ces transactions correspondent, ou non, à un contrat spécifique. Dès lors, une interprétation restrictive de la notion de « transaction commerciale » qui la ferait coïncider avec celle de « contrat » serait en contradiction avec la définition même du champ d’application matériel de ladite directive.

26      S’agissant des finalités de la directive 2011/7, laquelle vise principalement à protéger le créancier contre les retards de paiement et à décourager les retards de paiement, rien ne suggère que la notion de « transaction commerciale » doit nécessairement correspondre à celle de « contrat ».

27      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 2, point 1, de la directive 2011/7 doit être interprété en ce sens que la notion de « transactions commerciales » qui y figure couvre chacune des fournitures de marchandises ou des prestations de services successives effectuées en exécution d’un seul et même contrat.

 Sur la première question

28      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7, lu en combinaison avec l’article 4 de celle-ci, doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un seul et même contrat prévoit des fournitures de marchandises ou des prestations de services successives, chacune devant être payée dans un délai déterminé, le montant forfaitaire minimal de 40 euros est dû pour chaque retard de paiement, à titre d’indemnisation du créancier pour les frais de recouvrement, ou si elle est due une seule fois, indépendamment du nombre des paiements en retard.

29      À cet égard, il convient de rappeler, en premier lieu, que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7 impose aux États membres de veiller à ce que, lorsque des intérêts pour retard de paiement sont exigibles dans des transactions commerciales, le créancier soit en droit d’obtenir du débiteur, comme minimum, le paiement d’un montant forfaitaire de 40 euros, à titre d’indemnisation pour les frais de recouvrement. En outre, à son paragraphe 2, cet article fait obligation aux États membres de veiller à ce que ce montant forfaitaire minimal soit dû automatiquement, même en l’absence de rappel au débiteur, et à ce qu’il vise à indemniser le créancier pour les frais de recouvrement encourus. Enfin, à son paragraphe 3, ledit article reconnaît au créancier le droit de réclamer au débiteur, outre ledit montant forfaitaire minimal de 40 euros, une indemnisation raisonnable pour tous les autres frais de recouvrement venant en sus dudit montant forfaitaire et encourus par suite d’un retard de paiement du débiteur.

30      La notion de « retard de paiement » qui est à l’origine du droit du créancier à obtenir du débiteur non seulement des intérêts légaux, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2011/7, mais aussi un montant forfaitaire minimal de 40 euros, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, est définie à l’article 2, point 4, de ladite directive comme étant tout paiement non effectué dans le délai de paiement contractuel ou légal. Dès lors que la même directive couvre, conformément à son article 1er, paragraphe 2, « tous les paiements effectués en rémunération de transactions commerciales », cette notion de « retard de paiement » est applicable à chaque transaction commerciale considérée individuellement (voir, en ce sens, arrêt du 20 octobre 2022, BFF Finance Iberia, C‑585/20, EU:C:2022:806, point 28).

31      En deuxième lieu, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7 définit les conditions d’exigibilité du montant forfaitaire minimal de 40 euros en renvoyant, pour ce qui est des transactions commerciales entre entreprises et pouvoirs publics, à l’article 4 de cette directive. Ce dernier article prévoit, à son paragraphe 1, que les États membres veillent à ce que, dans ces transactions commerciales, un créancier qui a rempli ses obligations et qui n’a pas reçu le montant dû à l’échéance soit en droit d’obtenir, à l’expiration du délai fixé aux paragraphes 3, 4 et 6 dudit article, les intérêts légaux pour retard de paiement, sans qu’un rappel soit nécessaire, sauf si le débiteur n’est pas responsable de ce retard (arrêt du 20 octobre 2022, BFF Finance Iberia, C‑585/20, EU:C:2022:806, point 31 et jurisprudence citée).

32      Il ressort de ce qui précède, d’une part, que le droit à obtenir des intérêts légaux pour retard de paiement, prévu à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2011/7, ainsi que le droit à un montant forfaitaire minimal, prévu à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, qui naissent du fait d’un « retard de paiement », au sens de l’article 2, point 4, de ladite directive, s’attachent à des « transactions commerciales » considérées individuellement. D’autre part, ces intérêts légaux, tout comme ce montant forfaitaire, deviennent exigibles automatiquement à l’expiration du délai de paiement prévu à l’article 4, paragraphes 3, 4 et 6, de la même directive, pourvu que les conditions figurant au paragraphe 1 de celui-ci soient satisfaites. Le considérant 17 de la directive 2011/7 énonce, à cet égard, que « [l]e paiement d’un débiteur devrait être considéré comme en retard, aux fins de l’exigibilité d’intérêts pour retard de paiement, si le créancier ne dispose pas de la somme due à la date convenue, alors qu’il a rempli ses obligations contractuelles et légales » (voir, en ce sens, arrêt du 20 octobre 2022, BFF Finance Iberia, C‑585/20, EU:C:2022:806, point 32).

33      S’agissant des conditions d’exigibilité respectivement des intérêts pour retard de paiement et du montant forfaitaire minimal, ni l’article 4, paragraphe 1, ni l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7 ne comportent de distinction selon que les paiements dus en rémunération des marchandises fournies ou des services prestés, non acquittés à l’échéance, procèdent ou non d’un seul et même contrat. Dès lors, le libellé de ces dispositions ne saurait venir au soutien de l’interprétation selon laquelle, dans le cas d’un seul contrat, le montant forfaitaire minimal de 40 euros, à titre d’indemnisation pour les frais de recouvrement, ne serait dû au créancier qu’une seule fois, indépendamment du nombre de paiements distincts qui sont en retard.

34      Ce constat est corroboré par l’article 5 de la directive 2011/7, qui porte sur un cas de figure comparable, aux fins de l’application de cette directive, à celui en cause au principal. En effet, il résulte de cet article, lu à la lumière du considérant 22 de ladite directive, que, lorsque les parties ont convenu d’un échéancier fixant les montants à payer par tranches, un montant forfaitaire minimal de 40 euros, à titre d’indemnisation pour les frais de recouvrement, est exigible pour chaque tranche de paiement non réglée à l’échéance.

35      Partant, il ressort d’une interprétation littérale et contextuelle de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7 que le montant forfaitaire minimal de 40 euros, à titre d’indemnisation pour les frais de recouvrement, est dû au créancier qui a rempli ses obligations pour chaque paiement non effectué à l’échéance en rémunération d’une transaction commerciale, attestée dans une facture ou demande de paiement équivalente, y compris lorsque plusieurs paiements en rémunération de fournitures de marchandises ou de prestations de services successives effectuées en exécution d’un seul et même contrat sont en retard, à moins que le débiteur ne soit pas responsable de ces retards (voir, en ce sens, arrêt du 20 octobre 2022, BFF Finance Iberia, C‑585/20, EU:C:2022:806, point 34).

36      En troisième lieu, cette interprétation de l’article 6 de la directive 2011/7 est confirmée par la finalité de celle-ci. Il résulte en effet de l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive, lu à la lumière de son considérant 3, qu’elle vise non seulement à décourager les retards de paiement, en évitant qu’ils soient financièrement intéressants pour le débiteur, en raison du faible niveau ou de l’absence d’intérêts facturés dans une telle situation, mais aussi à protéger efficacement le créancier contre de tels retards, en lui assurant une indemnisation la plus complète possible des frais de recouvrement qu’il a exposés. À cet égard, le considérant 19 de ladite directive précise, d’une part, que les frais de recouvrement devraient également inclure la récupération des coûts administratifs et l’indemnisation pour les coûts internes encourus du fait de retards de paiement et, d’autre part, que l’indemnisation par un montant forfaitaire devrait tendre à limiter les coûts administratifs et internes liés au recouvrement (voir, en ce sens, arrêt du 20 octobre 2022, BFF Finance Iberia, C‑585/20, EU:C:2022:806, points 35 et 36).

37      Dans cette perspective, l’accumulation, dans le chef du débiteur, de plusieurs retards dans le paiement de fournitures de marchandises ou de prestations de services successives, en exécution d’un seul et même contrat, ne saurait avoir pour effet de réduire le montant forfaitaire minimal dû à titre d’indemnisation des frais de recouvrement pour chaque retard de paiement à un montant forfaitaire unique. Cette réduction reviendrait, tout d’abord, à priver d’effet utile l’article 6 de la directive 2011/7, dont l’objectif est, ainsi qu’il a été souligné au point précédent, non seulement de décourager ces retards de paiement mais aussi d’indemniser, par ces montants, « le créancier pour les frais de recouvrement qu’il a encourus », ces frais tendant à augmenter à proportion du nombre de paiements et des montants dont le débiteur ne s’acquitte pas à l’échéance. Ladite réduction équivaudrait, ensuite, à accorder au débiteur une dérogation au droit au montant forfaitaire visé à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, sans que cette dérogation soit justifiée par une quelconque « raison objective », au sens de l’article 7, paragraphe 1, second alinéa, sous c), de ladite directive. La réduction en cause reviendrait, enfin, à exonérer le débiteur d’une partie de la charge financière découlant de son obligation de verser, au titre de chaque paiement non réglé à l’échéance, le montant forfaitaire de 40 euros, prévu à cet article 6, paragraphe 1 (voir, en ce sens, arrêt du 20 octobre 2022, BFF Finance Iberia, C‑585/20, EU:C:2022:806, point 37).

38      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7, lu en combinaison avec l’article 4 de cette directive, doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un seul et même contrat prévoit des fournitures de marchandises ou des prestations de services successives, chacune devant être payée dans un délai déterminé, le montant forfaitaire minimale de 40 euros à titre d’indemnisation pour les frais de recouvrement est dû au créancier pour chaque retard de paiement.

 Sur les dépens

39      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 2, point 1, de la directive 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales,

doit être interprété en ce sens que :

la notion de « transactions commerciales » qui y figure couvre chacune des fournitures de marchandises ou des prestations de services successives, effectuées en exécution d’un seul et même contrat.

2)      L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7, lu en combinaison avec l’article 4 de cette directive,

doit être interprété en ce sens que :

lorsqu’un seul et même contrat prévoit des fournitures de marchandises ou des prestations de services successives, chacune devant être payée dans un délai déterminé, le montant forfaitaire minimale de 40 euros à titre d’indemnisation pour les frais de recouvrement est dû au créancier pour chaque retard de paiement.

Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.