13 octobre 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-20.959

Chambre commerciale financière et économique - Formation de section

ECLI:FR:CCASS:2021:CO00709

Texte de la décision

COMM.

FB


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 octobre 2021




Rejet


Mme MOUILLARD, président



Arrêt n° 709 FS-D

Pourvoi n° Z 19-20.959




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 13 OCTOBRE 2021

La société Compagnie méditerranéenne des cafés, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 19-20.959 contre l'arrêt rendu le 17 mai 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Cafés Richard, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à la société Technopool, société à responsabilité limitée,

3°/ à la société Facotec, société à responsabilité limitée,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 4],

4°/ à la société Ets Unic, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Mollard, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Compagnie méditerranéenne des cafés, de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat des sociétés Cafés Richard, Technopool, Facotec et Ets Unic, et l'avis de Mme Gueguen, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 6 juillet 2021 où étaient présents Mme Mouillard, président, M. Mollard, conseiller rapporteur, M. Guérin, Mmes Poillot-Peruzzetto, Champalaune, Daubigney, Michel-Amsellem, M. Ponsot, Mme Boisselet, conseillers, Mmes Le Bras, de Cabarrus, Lion, Comte, Lefeuvre, Tostain, Bessaud, Bellino, conseillers référendaires, Mme Gueguen, premier avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 mai 2019), exerçant sous les noms commerciaux « Cafés Malongo » et « Malongo » une activité, notamment, de vente de machines à café à usage professionnel ou privé, la société Compagnie méditerranéenne des cafés (la société Malongo) est titulaire de la marque verbale française « XPOD », déposée le 28 février 2005 sous le numéro 3 343 632 pour désigner, en classes 7, 11 et 21, des produits relevant du domaine des machines à café.

2. Elle était également titulaire du brevet européen désignant la France, déposé le 13 décembre 1994 sous le n° EP 0 735 837 B1 et publié sous le titre « Machine automatique pour la préparation d'infusions de boissons chaudes » (le brevet EP 837), la protection conférée par ce brevet étant expirée le 13 décembre 2014.

3. La société Technopool est titulaire des marques semi-figuratives française, communautaire et internationale « Z POD », déposées en 2014 pour ses produits en classes 7, 11, 21 et 30.

4. La société Ets Unic fabrique des machines à café nommées « Pony », dont le groupe d'infusion lui est fourni par la société Facotec, filiale de la société Technopool. Elle les vend aux professionnels de la restauration, parmi lesquels la société Cafés Richard, qui les met à la disposition de ses clients.

5. Considérant que la machine à café « Pony » contrefaisait certaines des caractéristiques revendiquées dans le brevet EP 837, et ayant appris que la société Facotec s'apprêtait à commercialiser une machine à café sous les marques « Z POD », la société Malongo a, le 9 décembre 2014, assigné les sociétés Technopool, Facotec, Ets Unic et Cafés Richard, notamment, en contrefaçon du brevet EP 837, concurrence déloyale, contrefaçon de la marque « XPOD » et annulation des marques « Z POD ».

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La société Malongo fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande tendant à l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il l'avait déboutée de sa demande en contrefaçon du brevet EP 837, alors « que la dévolution s'opère pour le tout lorsque l'appel n'est pas limité à certains chefs ; que la portée de l'appel est déterminée au regard des dernières conclusions ; qu'en retenant, pour dire irrecevable la prétention de la société Malongo tendant à l'infirmation du jugement en ce qu'il l'avait déboutée de sa demande en contrefaçon du brevet EP 837, qu'elle n'avait pas critiqué ce chef du jugement dans ses premières conclusions, limitant son appel aux chefs du jugement statuant sur le fondement de la concurrence déloyale et du droit des marques, et qu'elle devait donc être réputée y avoir acquiescé, quand la déclaration d'appel de la société Malongo ne contenait aucune limitation et qu'elle avait sollicité, dans des dernières écritures, la réformation du jugement sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 562, alinéa 2, du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile, applicable en la cause, ensemble l'article 954, alinéa 4, du même code. »

Réponse de la Cour

7. Dès lors que, selon l'article 954, alinéas 1 et 2, du code de procédure civile, dans les procédures avec représentation obligatoire, les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties, que les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et que la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif, le fait pour un appelant de se borner à conclure à l'infirmation du jugement ne saisit pas la cour d'appel d'une prétention sur les demandes tranchées dans ce jugement.

8. Dans le dispositif de ses conclusions récapitulatives d'appel, la société Malongo se bornait à demander l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il l'avait déboutée de sa demande en contrefaçon de son brevet EP 837, sans réclamer la condamnation des sociétés Technopool, Facotec, Ets Unic et Cafés Richard pour contrefaçon de ce brevet. La cour d'appel, qui n'était donc saisie d'aucune demande de ce chef, n'avait pas à statuer.

9. En conséquence, le moyen est inopérant.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. La société Malongo fait grief à l'arrêt attaqué de la débouter de sa demande en contrefaçon de la marque « XPOD », alors :

« 1°/ que la demande d'enregistrement à titre de marque d'un signe similaire à une marque protégée, pour désigner des produits ou services identiques ou similaires, constitue un usage du signe dans la vie des affaires et caractérise un acte de contrefaçon dès lors qu'il existe un risque de confusion entre les signes en présence ; qu'ayant constaté l'existence d'un risque de confusion entre les marques "XPOD" et "Z POD", justifiant l'annulation de la seconde, la cour d'appel, qui a néanmoins retenu, pour écarter tout acte de contrefaçon, que la seule demande d'enregistrement n'était pas constitutive d'un acte de contrefaçon en l'absence d'usage dans la vie des affaires, a violé l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle ;

2°/ que l'annulation de l'enregistrement d'une marque contrefaisante ne fait pas disparaître la contrefaçon résultant de la demande d'enregistrement ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle. »

Réponse de la Cour

11. La Cour de cassation a précédemment interprété les articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 716-1 du code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, en ce sens que le dépôt à titre de marque d'un signe contrefaisant constitue à lui seul un acte de contrefaçon, indépendamment de son exploitation (Com., 26 novembre 2003, pourvoi n° 01-11.784 ; Com., 10 juillet 2007, pourvoi n° 05-18.571, Bull. 2007, IV, n° 189 ; Com., 21 février 2012, pourvoi n° 11-11.752 ; Com., 24 mai 2016, pourvoi n° 14-17.533).

12. Il y a toutefois lieu de reconsidérer cette interprétation à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).

13. Cette Cour juge en effet que le titulaire d'une marque enregistrée ne peut interdire l'usage par un tiers d'un signe similaire à sa marque que si cet usage a lieu dans la vie des affaires, est fait sans le consentement du titulaire de la marque, est fait pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée et, en raison de l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public, porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service (CJUE, arrêt du 3 mars 2016, Daimler, C-179/15, points 26 et 27 et jurisprudence citée).

14. Or, la demande d'enregistrement d'un signe en tant que marque, même lorsqu'elle est accueillie, ne caractérise pas un usage pour des produits ou des services, au sens de la jurisprudence de la CJUE, en l'absence de tout début de commercialisation de produits ou services sous le signe. De même, en pareil cas, aucun risque de confusion dans l'esprit du public et, par conséquent, aucune atteinte à la fonction essentielle d'indication d'origine de la marque, ne sont susceptibles de se produire.

15. Dès lors, la demande d'enregistrement d'un signe en tant que marque ne constitue pas un acte de contrefaçon.

16. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Compagnie méditerranéenne des cafés aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Compagnie méditerranéenne des cafés et la condamne à payer aux sociétés Technopool, Facotec, Ets Unic et Cafés Richard la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize octobre deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Compagnie méditerranéenne des cafés.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable la demande des Cafés Malongo tendant à l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il l'avait déboutée de sa demande en contrefaçon du brevet EP 735 837,

AUX MOTIFS QUE, par déclaration d'appel du 13 mars 2017, la société Malongo a interjeté appel du jugement rendu le 9 février 2017 par le tribunal de grande instance de Paris « selon les moyens exposés dans les conclusions » ; que, dans le délai de trois mois prescrit à l'appelant pour conclure par l'article 908 du code de procédure civile dans sa version antérieure au 1er septembre 2017 applicable à l'espèce, la société Malongo a notifié le 12 juin 2017 ses conclusions, aux termes desquelles, après avoir indiqué « la cour ne pourra qu'infirmer partiellement ce jugement, dans la mesure où il n'a pas fait droit à l'action et aux demandes de l'appelante sur le fondement de concurrence déloyale et parasitaire, et parce qu'il n'a pas tiré toutes les conséquences du dépôt de la marque [...] » ; qu'elle sollicite, dans le dispositif, l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes en concurrence déloyale et parasitaire, en contrefaçon de sa marque ainsi que sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, sans critiquer les chefs du jugement qui ont rejeté sa demande en contrefaçon des revendications du brevet EP 837, prononcé la nullité de diverses revendications du brevet FR 205 et l'ont déclarée irrecevable à agir en contrefaçon desdites revendications, et sans former en conséquence aucune demande sur le fondement du droit des brevets ; qu'il se déduit de ces éléments que la société Malongo a acquiescé aux chefs du jugement susvisés relatifs à la nullité et à la contrefaçon des brevets revendiqués en première instance, et qu'elle a limité son appel aux chefs du jugement statuant sur le fondement de la concurrence déloyale et du droit des marques, de sorte que sa prétention d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en contrefaçon de son brevet EP 837 est irrecevable ;

ALORS QUE la dévolution s'opère pour le tout lorsque l'appel n'est pas limité à certains chefs ; que la portée de l'appel est déterminée au regard des dernières conclusions ; qu'en retenant, pour dire irrecevable la prétention de la société Cafés Malongo tendant à l'infirmation du jugement en ce qu'il l'avait déboutée de sa demande en contrefaçon du brevet EP 0 735 837 B1, qu'elle n'avait pas critiqué ce chef du jugement dans ses premières conclusions, limitant son appel aux chefs du jugement statuant sur le fondement de la concurrence déloyale et du droit des marques, et qu'elle devait donc être réputée y avoir acquiescé, quand la déclaration d'appel de la société Cafés Malongo ne contenait aucune limitation et qu'elle avait sollicité, dans des dernières écritures (conclusions signifiées le 5 mars 2019, dispositif p. 58, développements p. 27 à 50), la réformation du jugement sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 562, alinéa 2, du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile, applicable en la cause, ensemble l'article 954, alinéa 4, du même code.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Cafés Malongo de sa demande en contrefaçon de la marque « XPOD »,

AUX MOTIFS PROPRES QUE le dépôt d'une marque annulée, qui est réputée n'avoir pas existé, ne peut à lui seul constituer un acte de contrefaçon ; que la marque « ZPOD » incriminée ayant été annulée, et aucun usage de ladite marque n'étant ni allégué ni établi, la contrefaçon de marque n'est pas constituée ; que le jugement sur ce point sera confirmé ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE, selon l'article L. 713-3 b) du code de la propriété intellectuelle, « sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public, l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement » ; que, toutefois, conformément à la jurisprudence communautaire et à l'harmonisation de la protection des marques dans tous les États membres, cet article permet au titulaire de la marque d'interdire l'usage, sans son consentement, d'un signe identique ou similaire par un tiers, lorsque cet usage est fait dans la vie des affaires, pour des produits ou services identiques ou similaires et en raison de l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public ; que la seule demande d'enregistrement d'une marque n'est pas constitutive d'une contrefaçon en l'absence d'usage dans la vie des affaires ; qu'or cet usage n'est pas démontré dès lors qu'aucun acte de commercialisation de la machine dénommée « ZPOD » n'est rapporté ; qu'il s'ensuit que la demande en contrefaçon sera rejetée ;

1°/ ALORS QUE la demande d'enregistrement à titre de marque d'un signe similaire à une marque protégée, pour désigner des produits ou services identiques ou similaires, constitue un usage du signe dans la vie des affaires et caractérise un acte de contrefaçon dès lors qu'il existe un risque de confusion entre les signes en présence ; qu'ayant constaté l'existence d'un risque de confusion entre les marques « XPOD » et « ZPOD », justifiant l'annulation de la seconde, la cour d'appel, qui a néanmoins retenu, pour écarter tout acte de contrefaçon, que la seule demande d'enregistrement n'était pas constitutive d'un acte de contrefaçon en l'absence d'usage dans la vie des affaires, a violé l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle ;

2°/ ALORS QUE l'annulation de l'enregistrement d'une marque contrefaisante ne fait pas disparaître la contrefaçon résultant de la demande d'enregistrement ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle.

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