Avis n° 21-4 relatif à une demande d’avis d’un professionnel portant sur la conformité d’une pratique d’un fournisseur au regard du droit de la concurrence

Avis n° 21-4 relatif à une demande d’avis d’un professionnel portant sur la conformité d’une pratique d’un fournisseur au regard du droit de la concurrence

La Commission d’examen des pratiques commerciales,

Vu la lettre enregistrée le 5 février 2019, sous le numéro 19-10, par laquelle un professionnel interroge la Commission sur la légalité de la pratique qui consiste, pour un fournisseur, à distribuer à des revendeurs des catalogues mentionnant des tarifs à destination des clients finaux.

Vu les articles L. 440-1 et D. 440-1 à D. 440-13 du code de commerce ;

Les rapporteurs entendus lors de ses séances plénières des 21 novembre 2019, 27 février et 24 septembre 2020 et 15 avril 2021 ;

Objet de la saisine :

La pratique qui consiste, pour un fournisseur, à distribuer à des revendeurs des catalogues mentionnant des tarifs à destinations des clients finaux, est-elle conforme au droit de la concurrence ?

Analyse de la saisine :

Dans quelle mesure la diffusion de catalogues par un fournisseur (fabricant, grossiste, tête de réseau, etc.), à destination des clients, indiquant des prix de revente des produits par des distributeurs indépendants, constitue-t-elle une pratique interdite ?

Deux types de pratiques doivent être distingués :

La pratique consistant a imposer au distributeur independant un prix de revente (fixe ou minima) est en principe illicite car susceptible de constituer :
(i) une pratique restrictive de concurrence au sens de l’article L. 442-6 du code de commerce qui prévoit qu’« [e]st puni d'une amende de 15.000 € le fait par toute personne d'imposer, directement ou indirectement, un caractère minimal au prix de revente d'un produit ou d'un bien, au prix d'une prestation de service ou à une marge commerciale »

(ii)une entente, au sens des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et en particulier une restriction caractérisée au sens de l’article 4, a) du Règlement n° 330/2010 qui prévoit que l’exemption ne s’applique pas aux pratiques qui ont pour objet « de restreindre la capacité de l'acheteur de déterminer son prix de vente, sans préjudice de la possibilité pour le fournisseur d'imposer un prix de vente maximal ou de recommander un prix de vente, à condition que ces derniers n'équivaillent pas à un prix de vente fixe ou minimal sous l'effet de pressions exercées ou d'incitations par l'une des parties ».

(iii)un abus de position dominante au sens des articles L. 420-2 alinéa 1 du code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Comme l’a récemment relevé l’Autorité de la concurrence, « la politique d’uniformisation tarifaire exercée par [l’Opérateur] a eu pour effet d’empêcher que ses points de vente ne soient concurrencés en prix par ces autres revendeurs »[1].

En revanche, la pratique consistant a conseiller au distributeur independant un prix de revente indicatif  (fixe ou maxima) est en principe licitE.

Le présent avis se propose d’expliciter le principe de la distinction entre les deux notions (prix imposés, prix conseillés) avant d’en présenter les tempéraments.

1. Le principe de la distinction entre les prix de revente (fixes ou minima) imposés, illicites, et les prix de revente conseillés, licites

Un prix de revente est imposé au distributeur lorsque celui-ci se trouve contraint de répercuter le prix fixe ou minima indiqué par son partenaire commercial. Le droit des pratiques anticoncurrentielles et le droit des pratiques restrictives de concurrence ne prohibent que l’imposition de prix fixes et minima, non de prix maxima.

Le catalogue envoyé au distributeur pourrait indiquer que les prix mentionnés sont des prix maxima

Un prix de revente est conseillé au distributeur lorsque le fournisseur lui recommande un prix sans que ce dernier ne soit contraint de suivre cette recommandation ; il peut en fixer un autre sans encourir de sanction dans le cadre de sa relation commerciale (ou « de la part de son partenaire commercial »). Lorsque le prix est communiqué par le fournisseur aux consommateurs, non seulement les distributeurs doivent pouvoir ne pas l’appliquer mais aussi les consommateurs doivent le comprendre (l’article L. 121-2 du code de la consommation interdit les pratiques commerciales trompeuses).

Pour que l’envoi au distributeur d’un catalogue contenant les prix de revente puisse s’analyser en une pratique de prix conseillés, il faut que le distributeur garde la possibilité effective de pratiquer des prix différents, ce qui suppose que le catalogue indique clairement qu’il s’agit de prix conseillés.

2. Certaines précisions apportées par la jurisprudence

La pratique jurisprudentielle révèle que la distinction entre les prix conseillés et les prix imposés n’est pas toujours évidente en pratique.

[i] De règle générale, alors même que les prix de revente seraient présentés par le fournisseur comme des prix conseillés, le droit des pratiques anticoncurrentielles[2] et le droit des pratiques restrictives de concurrence[3]considèrent que les prix de revente sont imposés lorsque trois conditions cumulatives sont remplies :

  • Le fournisseur a communiqué à son distributeur des prix de revente au détail (évocation de prix, généralement présentés comme n’étant que conseillés)
  • Une police des prix a été mise en place par le fournisseur pour éviter que des distributeurs déviants ne compromettent le fonctionnement de l’entente (menace de représailles, de déréférencement, etc.)
  • Les prix communiqués par le fournisseur sont significativement appliqués par une forte majorité des distributeurs du réseau.

(ii) S’agissant des pratiques particulières de pré-étiquetage ou de pré-enregistrement des prix de revente au détail, le prix a priori conseillé ne sera considéré́ comme imposé que si la modification du prix par le distributeur est « complexe et peu réalisable ».

Dans un arrêt récent[4]concernant la revente de vêtements, la Cour de cassation a retenu l’existence de prix de revente imposés en raison de trois circonstances : la plupart des vêtements étaient pré-étiquetés ; les prix de revente conseillés étaient enregistrés dans les logiciels des caisses des magasins ; la centrale d’achat concevait elle-même les messages publicitaires et édictait des prospectus mentionnant les prix de revente[5].

Pour que l’envoi au distributeur d’un catalogue contenant les prix de revente puisse s’analyser en une pratique de prix conseillés, il faut que l’auteur du catalogue s’abstienne de tout mécanisme de sanction à l’égard du revendeur en cas de non-respect de ces prix et qu’en cas de pré-étiquetage ou de pré-enregistrement des prix, la modification du prix par le distributeur ne soit pas complexe et peu réalisable.

 

3. Les tempéraments à l’interdiction des prix de revente (fixes ou minima) imposés

Deux séries de tempéraments à l’interdiction des prix imposés doivent être mentionnés.

En premier lieu, au sein des réseaux de distribution, deux considérations sont particulièrement importantes. Primo, une coopérative de commerçants peut, par exception à la prohibition des ententes de prix communs, définir et mettre en œuvre par tous moyens une politique commerciale commune propre à assurer le développement et l'activité de ses associés, des commerçants détaillants, « par la réalisation d'opérations commerciales, publicitaires ou non, pouvant comporter des prix communs » (art. L. 124-1, 6° C. com.), sans qu’il y ait lieu de distinguer suivant que les distributeurs sont ou non situés dans la même zone de chalandise. Secundo, quelle que soit la structure du réseau, l’Autorité de la concurrence a considéré à plusieurs reprises, et au regard de certaines modalités, que la fixation concertée de prix par des commerçants indépendants regroupés sous une même enseigne ne constitue pas une pratique prohibée par le droit des ententes[6].

Des prix communs sont donc tolérés (i)au sein d’un réseau coopératif et (ii) selon certaines modalités, au sein de tout réseau d’indépendants regroupés sous une même enseigne.

En second lieu, alors même que la pratique serait constitutive d’une entente sur les prix, une exemption individuelle fondée sur l’article 101, paragraphe 3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ou l’article L. 420-4 du Code de commerce pourrait toutefois être accordée lorsque l’entreprise est en mesure de faire la démonstration des quatre conditions requises pour l’octroi d’une exemption individuelle, c'est-à-dire outre la preuve des gains d’efficience, celle du caractère nécessaire et proportionné de la restriction de concurrence induite par la pratique de prix imposés, une répercussion de ces profits sur les utilisateurs finaux et l’absence d’élimination de toute concurrence sur le marché. En effet, les Lignes directrices sur les restrictions verticales citent trois situations dans lesquelles le fournisseur pourrait imposer au distributeur ses prix de revente :

  • Lancement d’un nouveau produit, pendant la période d’introduction de celui-ci, ce qui permet ainsi d’assurer sa promotion ;
  • Campagne de prix bas coordonnée de courte durée dans un réseau de franchise ou autre réseau de distribution appliquant un format de distribution similaire (2 à 6 semaines le plus souvent) ;
  • Distribution de produits d’expérience ou complexe, notamment lorsque la marge supplémentaire offerte par les prix de revente imposés permet la fourniture de services de prévente additionnels.

Il y aurait donc prix imposés licites lorsque des catalogues présentent (i) des nouveaux produits sur une courte durée, correspondant à la période de lancement de ces produits, (ii) une campagne promotionnelle de courte durée (catalogue de fin d’année pour les jouets ou pour l’alimentation festive ; catalogue de rentrée avec les fournitures scolaires),(iii) des produits complexes, pour lesquels le distributeur s’est engagé à fournir des services qui dépassent ceux habituellement prévus pour la distribution de produits de même nature (essai gratuit, cours d’initiation…).

Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 15 avril 2021, présidée par Monsieur Benoit POTTERIE

Fait à Paris, le 15 avril 2021,

Le président de la Commission d’examen des pratiques commerciales

Benoit POTTERIE


[1]Aut. conc. n° 17-D-02 du 10 février 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des boules de pétanque de compétition.

[2]Aut. conc., n° 06-D-04 du 13 mars 2006, pratiques relevées dans le secteur de la parfumerie de luxe ; Aut. conc., 07-D-50 du 20 décembre 2007, pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des jouets ; et plus récemment : CA Paris, 19 décembre 2018, RG n° 16/07213 ; Aut. conc., 19-D-17 du 30 juillet 2019, pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des fertilisants liquides pour la production hors-sol dédiés à la culture domestique.

[3]Cass. crim, 1er juin 1993, n° 91-14242, Bull. civ. IV, n° 222.

[4]Cass. crim, 16 janvier 2018

[5]Cass. crim., 16 janv. 2018, n° 16-83457, pub. Bull. .

[6]Aut. conc., n° 10-A-26 du 7 décembre 2010, relatif aux contrats d’affiliation de magasins indépendants et les modalités d’acquisition de foncier commercial dans le secteur de la distribution alimentaire, pt 36.