Newsletter DDS - Février 2023
Direction technique droit social

Situation de travail temporaire non autorisée en Allemagne impliquant des salariés étrangers

La mise à disposition temporaire d'un salarié par une entreprise auprès d’une autre entreprise requiert en Allemagne une autorisation en vertu de la loi relative au travail temporaire (articles 9 et 10 de la loi sur la mise à disposition temporaire de salariés, « Arbeitnehmerüber-lassungsgesetz », AÜG).
 
Cette loi s’applique également lorsque des employés d'autres pays de l'UE sont affectés en Allemagne. Ainsi, en l’absence de permis de travail temporaire allemand, une telle situation est illégale selon la loi allemande. Néanmoins, aucune relation de travail n’est reconnue entre l’employé étranger et l’entreprise utilisatrice située en Allemagne (Entleiher), si la relation de travail du travailleur temporaire est régie par le droit d’un autre Etat membre de l’UE.

C’est notamment ce qui résulte d’un arrêt rendu par la Cour fédérale du travail le 26 avril 2022, 9 AZR 228/21.

L’affaire 
En l’espèce, la requérante a été engagée en octobre 2014 en tant que consultante technique par un groupe de conseil français spécialisé en conseil en technologie. La salariée était de nationalité française et vivait en France. De plus, son contrat de travail était régi par le droit français. De 2014 à 2016, elle a travaillé en tant que consultante dans une entreprise de l'un des clients de son employeur à Karlsruhe, en Allemagne.
 
Durant cette période, son employeur français n'était pas en possession d'un permis de travail temporaire allemand. Selon le droit du travail allemand, en l’absence de permis préalable, le salarié mis à disposition est de plein droit considéré comme un salarié de la société utilisatrice. En 2019, son employeur français a mis fin à son contrat de travail. La requérante a alors introduit une action devant le Conseil des Prud’hommes de Karlsruhe (« Arbeitsgericht »), affirmant qu'elle était devenue salariée de la société à Karlsruhe depuis 2014. Elle arguait avoir travaillé pour la société allemande, sans qu’un permis de travail temporaire n’ait été délivré et faisait également valoir que sa prestation réalisée au sein de la société utilisatrice à Karlsruhe ne s’inscrivait pas dans un contrat de prestation de service mais consistait une mise à disposition. Du fait de cette absence d’autorisation de travail temporaire, le contrat de travail avec son employeur français n’était plus valable.
 
La requérante a été déboutée de sa demande en première instance par le Conseil des Prud’hommes en Allemagne. Elle a obtenu gain de cause devant la Cour d’Appel. 

La décision de la Cour fédérale du travail
L’employeur a obtenu une décision favorable dans le cadre de son pourvoi. La Cour fédérale du travail (juridiction la plus élevée du droit du travail de la République fédérale d’Allemagne, équivalent de la Cour de cassation en France) a estimé qu'aucune relation de travail n'avait été établie entre la société allemande et la requérante.
 
La reconnaissance de la fictivité d'une relation de travail entre l'entreprise utilisatrice et le salarié mis à disposition  (« Leiharbeitnehmer ») sans permis autorisant le prêt de main d’œuvre, présuppose que le contrat de travail entre l'entreprise de travail temporaire (« Verleiher ») et le salarié soit contraire à l'article 9 n° 1 de l'ancienne version de l'AÜG. Toutefois, si la relation de travail entre l'entreprise qui met à disposition et le salarié lui-même est valable en vertu du droit applicable (ici le droit français), la relation de travail entre le salarié mis à disposition et l'entreprise utilisatrice ne peut être qualifiée de fictive.
 
La Cour fédérale du travail a estimé que la relation de travail existant entre l'entreprise de travail temporaire et la demanderesse était soumise au droit français. Et que le choix de la loi applicable par les parties était valable.
 
Selon la Cour, ni la loi sur la mise à disposition temporaire de salariés, ni la loi sur les conditions de travail obligatoire pour les travailleurs « détachés » et pour les travailleurs régulièrement affectés en Allemagne (Arbeitnehmer-Entsendegesetz, AEentG) disposent que la Section 9 n° 1 de l’ancienne version du AÜG doit prévaloir sur la loi étrangère.
 
Nos remarques
La décision de la Cour fédérale du travail revêt une grande importance en pratique à une époque de mondialisation du travail où les cas de mise à disposition de salariés au-delà des frontières se multiplient.
 
Si des employés d'une entreprise tierce sont détachés dans une autre entreprise, une extrême prudence est requise concernant le risque de travail temporaire dissimulé en vertu du droit allemand.

Cela s'applique également à la situation des employés venant de l’étranger qui travaillent pour des entreprises en Allemagne. Même dans ces cas, en fonction des caractéristiques de la mission des employés, cela peut être considéré comme du travail temporaire dissimulé au sens du droit allemand.

Le facteur décisif ici n'est pas le contenu du contrat convenu par les parties, mais comment il se déroule.
 
Les employeurs doivent donc examiner attentivement le contenu du contrat et la mise en œuvre prévue de la relation contractuelle avant l'affectation du salarié. Même dans les relations contractuelles actuelles, la pratique devrait être régulièrement vérifiée et contrôlée afin d'exclure les risques de travail temporaire dissimulé. La décision de la Cour fédérale du travail, motivée de manière convaincante et approfondie, est donc importante en raison des précisions qu’elle apporte en matière de travail temporaire dissimulé en droit allemand.
 
Avec cette décision, la Cour fédérale du travail a en quelque sorte donné un signal clair pour les cas où il existe une relation de travail valable en vertu du droit étranger. Dans ces cas, à tout le moins, la relation de travail avec l'entreprise locale n'est pas fictive, même en cas de la reconnaissance d’une mise à disposition dissimulée. Il n’en reste pas moins qu’il s'agit de cas de travail temporaire non autorisé avec un risque d'amendes élevées. La décision s'applique à la situation juridique actuelle, même si elle fait encore référence à la version de l'AÜG valable jusqu'au 31 mars 2017.
 
Achim Braner
 
Cabinet Luther à Francfort
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