Lettre d'information : Propriété Intellectuelle / Numérique, Tech et Données n°157 (Mars 2023)
Direction Technique Droit Economique

L’usage sérieux de la marque : les exigences de la Cour de cassation virent au casse-tête

Cass. Com., 16 novembre 2022, n° 21-18.986
 
Le droit de marque présente pour singularité son caractère potentiellement perpétuel aussi longtemps que son titulaire acquitte les frais de renouvellement décennaux. La contrepartie de cette spécificité tient à la règle de l’obligation d’usage sérieux qui pèse sur le déposant. En effet, faute d’en faire une exploitation sérieuse à partir du cinquième anniversaire de la marque, le titulaire s’expose à la déchéance de ses droits (art. L. 714-5 du CPI). Or, l’abondant contentieux de la déchéance, initialement dévolu au juge judiciaire, puis transféré aux examinateurs de l’INPI en 2019, continue de soulever des interrogations quant aux éléments de preuve pertinents et suffisants pour apporter la démonstration d’un usage sérieux.
 
Un arrêt rendu le 16 novembre par la Cour de cassation a apporté un certain inconfort pour les titulaires de marques et leurs conseils juridiques en retenant un seuil d’exigence particulièrement sévère. Dans cette affaire, le titulaire d’une marque COMPTOIR DE L’APERITIF, déposée pour les produits de « tapenade, caviar de légumes, salades de légumes, pâtes à tartiner à base de poisson, biscuits salés pour l'apéritif, olives conservées, olives aromatisées, pâte à tartiner à base de fromage, anchois, purée d'anchois », reprochait à un tiers le dépôt d’une marque presque identique. En défense, ce dernier invoquait la déchéance des droits du titulaire antérieur.
 
La cour d’appel avait rejeté la demande en déchéance et avait, ce faisant, retenu que le titulaire démontrait suffisamment avoir démontré l’usage sérieux sur la base de factures émises pendant plusieurs années, comportant les termes CRUSCANA et COMPTOIR DE L’APERITIF.
 
Saisie d’un pourvoi formé par le déposant ultérieur, la chambre commerciale accueille le moyen et censure la décision d’appel. Observant que l’usage sérieux suppose une utilisation « sur le marché pour désigner les produits ou services protégés », la haute juridiction en déduit que si des factures « attestent de la vente de produits porteurs de la marque « comptoir de l'apéritif » auprès de grandes surfaces d'enseignes différentes, installées dans plusieurs départements », ces éléments de preuves sont insuffisants à apporter la démonstration d’un usage sérieux.
 
La solution isolée par la Cour laisse entendre que, s’agissant de produits de grande consommation, la production de factures de commandes entre un fournisseur et un distributeur ne permettent pas d’attester d’une exploitation auprès du consommateur final. L’on comprend que des éléments de preuve supplémentaires auraient été nécessaires pour parfaire cette démonstration. Cette position semble toutefois d’une sévérité excessive puisqu’un fournisseur ne dispose pas nécessairement d’un canal de vente directe auprès du grand public, tandis que toute publicité ou communication (par exemple pour des promotions) sera, de fait, réalisée par le distributeur (par exemple une grande surface).
 
Cet arrêt ne contribue pas à la lisibilité du droit des marques, puisque la notion d’usage n’est, en pratique, définie qu’a contrario. Il n’est pas non plus certain qu’en matière d’actes de contrefaçon, la production de factures par un tiers non autorisé, reproduisant un signé déposé à titre de marque, ne serait pas jugé suffisant en tant qu’acte illicite. La définition de la notion « d’usage » est donc encore bien énigmatique…
Conformément à la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978 modifiée en 2004, vous disposez d'un droit d'accès, de rectification et de
suppression des données vous concernant, que vous pouvez exercer en vous adressant à celine.diri@fidal.com.